Potes d’Azur


On est parti se planter dans le Parc des sports Charles-Ehrmann – où s’entraîne l’effectif professionnel de l’Olympique Gymnase Club de Nice Côte d’Azur – sur une intuition : celle d’une autonomie croissante du footballeur de Ligue 1 par rapport à son environnement direct ou au délire (argent, médias, supporteurs) ambiant.
On est tombé sur les joueurs de l’OGC Nice, réputés «gros 
keums», adultes, limite irréductibles ; et qui ont de surcroît le mérite de 
recevoir le Paris-SG dimanche soir en prime-time sur Canal +. Puis on a posé une 
question, une seule : qu’est-ce qui fait courir (au sens littéral) l’élite 
footballistique ? «L’argent !» : Lionel Letizi, 34 ans, gardien de but de son 
état, ancien du Paris-SG (où on le surnommait le «syndicaliste»), 4 sélections 
en équipe de France, déconne. Le footballeur professionnel est un grand garçon 
placide tout en double sens qui s’exprime les yeux mi-clos. «Non, ça c’est 
impossible. Pour ce qui est de la gestion de carrière, je ne dis pas ; mais ça 
n’a jamais poussé un mec à faire la course en plus. Vous savez, c’est un métier 
à part. Je répondrais : la gagne. Jusque dans le moindre petit jeu proposé par 
le coach à l’entraînement.» Et les appels à la mobilisation face caméra, comme 
la très médiatique ronflée administrée par le président de l’OM, Pape Diouf, à 
ses joueurs ? «Ben… Je vais vous surprendre, mais un joueur de Ligue 1 sait lire 
un classement (sourire). Le gars montre qu’il est le patron, il s’exprime pour 
être entendu des actionnaires ou des supporteurs. Mais si le joueur est 
conscient de ce qui se passe, il n’en fait pas grand cas.» 
«Confiance». OK. Rendez-vous est pris avec un expatrié, la néomerveille niçoise 
Honorato Campos Ederson, né il y a 21 ans, à Parapuã, dans l’Etat de São Paulo 
(Brésil). Le joueur professionnel a aussi, parfois, un sourire enfantin. «Un 
joueur est un homme mûr. Je suis parti à 1 300 kilomètres de chez moi à 15 ans, 
avec un seul retour de trois semaines chaque année. Dans ce boulot, la confiance 
est fondamentale. Alors, la critique doit être positive : “Tu peux faire mieux”, 
“Mets-toi dedans”, “Plus concentré”… A l’inverse, une critique portant sur un 
geste raté n’a aucun sens. A part inhiber le mec…» Ederson explique que tout à 
un sens, les mots de l’entraîneur, «qui a le pouvoir de te faire grandir», comme 
ceux des «joueurs de vestiaire», qui ont, à son idée, rappelé les joueurs à leur 
devoir et sauvé le Gym de la relégation l’an passé. Un joueur entend surtout la 
voix de ses pairs. Dans le genre, celle du milieu de terrain – et capitaine – 
Olivier Echouafni se pose là. Il vous regarde dans le blanc des yeux et dit 
souvent : «Là, je parle pour moi.» Dans les faits, Echouafni (35 ans) parle 
souvent pour les autres. Lors du stage de début de saison, il est allé 
s’expliquer (flanqué de «deux ou trois» joueurs de son âge) avec le bouillant 
entraîneur Frédéric Antonetti, histoire de circonscrire le gaillard : 
«L’entraîneur a été sur pris de notre démarche. Ce n’était pas non plus à un 
jeune mec d’aller au feu à notre place.» 
Est-ce qu’il a déjà perdu la foi ? «L’an passé. Une histoire de génération ; de 
conversations, de centres d’intérêt… Les jeunes s’en foutent. Les médias font 
une vedette avec un mec qui affiche 10 matchs en Ligue 1. Une engueulade ? Le 
mec se casse. Or ici, à Nice, c’est difficile. Vous avez vu les infrastructures 
? [pour le moins vétustes, ndlr]. Donc, il faut une vie en commun, des sorties 
au resto avec les mecs. Sinon, on marche à l’adrénaline. Monter dans le bus qui 
vous amène au match, ça…» 
«Concurrence». On s’en va vérifier cette histoire de bus avec Cédric Kanté, 
défenseur, alsacien de naissance. «Le coup du bus, c’est quand on approche de la 
fin ! (rires) Que dire ? A 28 ans, j’ai eu le temps de me faire des amis dans le 
foot. Mais un pro n’est pas dans un contexte où il va se dire : on est 25 
joueurs ici [contre 35, la moyenne pour un effectif professionnel], on va faire 
dix ans ensemble, on touche tous le même salaire, il y a la sécurité de 
l’emploi… Ça ne marche pas comme ça. Moi, je juge aussi mes matchs par rapport à 
ce que peuvent apporter mes remplaçants éventuels. C’est le haut niveau. Là où 
il y a de gros contrats, il y a de la concurrence.» Féconde donc, pour ne pas 
dire essentielle à… «Pas du tout. Je n’ai jamais dit que ça tirait le niveau 
vers le haut. Peut-être qu’il existe une autre voie que la concurrence à tous 
crins, peut-être aussi que Lille ou Nancy prospèrent là-dessus. Les joueurs et 
leur ego ont aussi une grande part dans cette course à l’individualisme. A 
Lille, on gère les mecs avec équité. A Madrid…» 
«Libre». A Madrid, Robinho peut rentrer du Brésil avec quarante-huit heures de 
retard : il échappe à toute sanction, il met deux buts en Ligue des champions 
(1) et c’est marre. Les footballeurs professionnels ont parfois des velléités 
égalitaristes. Justement, on s’en va se faire expliquer cette histoire de 
motivation par le très discret Florent Balmont, milieu, l’un de ces 
«footballeurs pour footballeurs» – comme il y a des cinéastes pour cinéastes – 
qui prospèrent dans l’ombre.
Au vrai, Balmont vous force à tendre l’oreille quand il parle. Au fond, 
qu’est-ce qui fait courir un type comme lui ? «Il y a l’avis de l’entraîneur. 
Sinon, je suis très famille. Le référent suprême, peut-être que ce sont mes 
proches.» On relance là-dessus. «Oui, c’est mon père que j’écoute. Depuis que je 
suis tout petit. Menuisier, il n’a jamais joué en professionnel. Mais… il me 
juge bien, il ne m’a jamais forcé à faire du foot. J’ai toujours été libre.» 
C’est le fin mot. Un joueur écoute qui il veut, quand il le sent et pour des 
raisons qui le regardent. On est reparti bien avancé.
(1) Lors de la victoire (4-2) du Real Madrid devant l’Olympiakos Le Pirée, le 24 
octobre.