A Nice, ça flingue en coulisses 

France Football

 

 

On bataille ferme pour prendre le contrôle du club azuréen. Alliances, coups tordus, plainte, on ne se fait pas de cadeau entre actionnaires. A la justice désormais de démêler cet incroyable écheveau...

a haute silhouette d'Éric de Montgolfier plane à nouveau sur le football français. Quatorze ans après être devenu, à la faveur de l'affaire VAOM, « l'homme qui tient tête à Tapie », le magistrat, désormais procureur de la République de Nice, a sur son bureau un dossier où il est à nouveau question de ballon rond. Et surtout de ronds autour du ballon. Éric de Montgolfier était en congé lorsque cette drôle d'affaire a éclaté. Mais il la suit de près. Le procureur a même désigné son substitut, Olivier Caracotch, pour suivre les affaires de football à Nice. Et, comme un fait exprès, il y a eu ce dépôt d'une plainte contre X pour « escroquerie et abus de confiance » au sujet des transferts à l'OGC Nice du Brésilien Ederson et de Moussilou (prêté depuis à SaintEtienne). Uaffaire se corse, c'est le cas de le dire, si l'on ajoute que le plaignant, Franck Giudicelli, originaire de l'île de Beauté, détient aujourd'hui 27 % des actions du club !

Lui non plus n'est pas un inconnu. Le 14 mai 2002, peu après que l'OGCN fut remonté en L1, il en était devenu l'actionnaire majoritaire, moyennant 1,01 M€, puis, une semaine plus tard, le président. Mais l'irruption dans le ciel d'Azur d'un jeune homme de vingt-sept ans, sortant de l'université un DESS d'économie dans une poche et un joli pécule dans l'autre, produit de la vente au groupe Accor d'un casino que possédaient son père et ses oncles à Besançon, avait fait jaser. Un profil qui, s'ajoutant à des amitiés présumées sulfureuses, faisait tache aux yeux des bien-pensants, même s'il lui arrive d'en sourire : « Pour beaucoup, Corse plus casino égale maria! » Son incapacité à présenter dans l'urgence un dossier de financement viable ayant provoqué la rétrogradation provisoire du Gym en Ligue 2, Giudicelli a cependant fini par se laisser convaincre qu'il valait mieux être plusieurs sur une bonne affaire que seul sur une mauvaise. Et c'est ainsi que, quelques semaines plus tard, Nice était réintégré en L1, mais son « actionnaire encombrant » n'était plus qu'au second plan sur la photo-souvenir, comme vice-président, ayant accepté une réduction de ses actifs à 27 % des parts à la faveur d'une complète recomposition de l'actionnariat.

Sur le devant de la scène, un nouveau président, Maurice Cohen, salarié et détenteur d'un petit pourcentage de l'OGCN (3,5 %), et celui que les Niçois considéraient comme le « sauveur » du club, Gilbert Stellardo, alors premier adjoint au maire de Nice, Jacques Peyrat. La banderole « Merci Gilbert » brandie le soir du retour du Gym en L1, c'était pour rendre hommage à son action en coulisses plus qu'à ses actions (31 %), qui en faisaient l'homme fort du conseil d'administration. En apparence, tout était clair. Et le serait resté si Giudiceffi, très présent cette saison-là, un peu moins après, s'était satisfait de ce strapontin. Car, comme le rappelle aujourd'hui Stellardo d'un ton patelin, un rien paternaliste : « En fait, nous avons sauvé Franck de la faillite qui le menaçait. Car sa mise de fonds ne valait alors plus rien. »

Arrière-pensées électorales.

Mais, à Nice, rien n'est simple. A commencer par la situation de Stellardo, qui, à l'époque, est en passe d'être débarqué de ses fonctions à la mairie, après avoir pourtant redressé les finances de la ville, Peyrat n'ayant pas apprécié qu'il annonce publiquement sa candidature pour les prochaines élections municipales. De fait, dans le vieux Nice, certains estiment que sa prise de participation au club cache des arrière-pensées politiques... Ce tremplin électoral, Stellardo, de même que Cohen, l'a acquis grâce à de l'argent avancé par un ami d'enfance, Marcel Governatori, alors propriétaire de magasins de meubles sur la Côte qu'il a depuis vendus pour prendre sa retraite (il a soixante-huit ans). En échange de quoi, ce bon vieux Marcel, tout en admettant ne pas trop connaître les arcanes du foot, a lui aussi acquis 31 % de l'OGCN. Le reste du capital a été réparti entre Cohen et deux autres petits actionnaires (3,5 % chacun)*. Tout continuerait d'aller pour le mieux dans le meilleur des mondes si à l'euphorie d'une bonne saison 2005-06 (finaliste de la Coupe de la Ligue et huitième de L1) n'avaient succédé des lendemains moins réjouissants. Une rumeur insistante circule à propos de rapports exécrables du club avec l'association OGC Nice, distincte de la société qui gère les pros et qui détient le numéro d'affiliation auprès de la FFF. Et - est-ce vraiment un hasard ? - Giudicelli, étrangement absent depuis un certain temps, se serait rapproché de l'association... Le 24 janvier, après une défaite à domicile devant Toulouse (0-1), Maurice Cohen, blême, annonce qu'il est débarqué et remplacé dès le lendemain par... Giudicelli !Profitant d'un froid entre Stellardo et Governatori, Giudicelli a alerté ce dernier sur le risque qu'une descente en L2 ferait courir à la valeur de ses actions. Et noué avec lui un pacte d'actionnaires lui donnant le contrôle de la majorité ! Et le pouvoir de limoger l'entraîneur, Frédéric Antonetti, pour le remplacer par son adjoint, José Cobos, l'ex-« Capitaine Flamme » de la remontée en Ligue 1. Mais voilà, les révolutions trop prévisibles sont vouées à l'échec. Trois jours après leur revers cinglant devant Toulouse, les Niçois obtiennent un bon nul à Lyon (0-0). Impossible de virer Antonetti après un tel résultat. Du coup, cinq jours après avoir annoncé sa destitution, Cohen pose entouré des trois autres gros actionnaires du club pour annoncer son retour aux commandes, épaulé par Giudicelli, en charge de la partie sportive ! Embrassons-nous, folle ville...

« Gravissimes accusations. »

Cette vraie-fausse promotion n'aurait-elle pas suffi à Giudicelli ? Après avoir travaillé pendant quelques semaines avec le directeur sportif Roger Ricort, avec lequel il a terminé le mercato d'hiver, on ne le voit plus guère au siège du club, « alors qu'il y a toujours son bureau et que nous nous y réunissons tous les lundis matin », souligne Stellardo, qui assure : « On ne chasse personne. » Mais, même sans se voir, ces messieurs ont continué à se parler. Giudicelli aurait proposé de racheter des actions afin de prendre la majorité. Mais comme dit Stellardo :« Pour vendre, il faut avoir envie de vendre. Or, nous ne sommes pas vendeurs. On le sera certainement un jour, mais, pour l'instant, notre objectif est de continuer à faire grandir le club, dont la valeur sera probablement deux ou trois fois plus importante quand il disposera d'un grand stade. » Pour l'instant, en tout cas, Giudicelli vise, en portant plainte, la gestion de Cohen et Ricort. « Et dire, souligne ce dernier, qu'en janvier j'avais profité de mes bonnes relations avec Franck pour rabibocher tout le monde !» Cohen, lui, préfère prendre les choses de haut: « Tous les transferts que nous avons réalisés sont parfaitement clairs, martèle-t-il. Nous avons même refusé d'en réaliser certains parce qu'ils n'étaient pas, selon nous, dans les règles de l'art. » Et, après avoir qualifié de « gravissimes » les accusations implicites de malversations que suggère le libellé de la plainte de Giudicelli, il ajoute: « On n'est sali que par du linge sale. » Comme une allusion à certaines relations de Giudicelli, proche d'un certain Savelli, lequel est concerné par une autre affaire trouble : une promesse d'embauche à la Ligue de football professionnel par l'intermédiaire de Xavier Pettinato, l'homme de l' « affaire des portables aux arbitres »... Pour sa part, Ricort, qui reconnaît avoir du mal à dormir, car l'affection qu'il portait à Franck « dépassait le cadre professionnel », se demande si tout cela ne va pas « mal finir un jour ». Avant qu'une friction malencontreuse n'enflamme le club, sa direction a dénoncé, lundi, dans un communiqué, la « tentative de déstabilisation » de Giudicelli : « Par ces allégations et fausses suspicions, deux sponsors principaux et cruciaux, représentant à eux deux plus de 1,2 M€, viennent d'annoncer leur désistement. L'ensemble des administrateurs du club attend de la justice [...] le plus rapidement possible la vérité sur les dossiers mis en cause afin de pouvoir mettre hors d'état de nuire Giudicelli ainsi que tous ceux qui ont porté atteinte à l'image du club. » Un texte publié sur le site Internet du club... qui n'aurait jamais dû l'être, le service communication de Nice évoquant une suite d'« erreurs informatiques ». Comme le dit Ricort :« D'habitude, pour faire une salade niçoise, on met de l'huile d'olive. Là, j'ai l'impression qu'on veut y ajouter de l'essence. »