Abardonado, fils du vent


Extrait DNA.fr

 

 

Défenseur de l'OGC Nice, né à Marseille il y a près de 28 années, Jacques Abardonado est ce qu'on appelle un joueur précieux. L'homme ne l'est pas moins.

Il se prénomme Jacques, on l'appelle Pancho. Mon premier, c'est pour la Sécurité sociale et autres babioles administratives. Mon deuxième, Pancho donc, c'est son sang, ses racines. Le frère de son grand-père, qui se prénommait ainsi, jouait à l'OM et lui-même fait partie de ce monde des gens du voyage. « Dans la famille, j'ai toujours vécu en appartement. On a eu cette chance-là de ne pas étouffer en s'enfermant, sourit-il. Certains ne peuvent pas vivre autrement que dans des caravanes. » Pur Marseillais, du quartier de la Castellane comme « Zizou », il dit ne pas être né « dans une rose ». Sa vie à lui, ce sont alors des parents au chômage forcé - « Quand on nous dit voleurs de poules, ça me blesse. En plus, le poulet, en ce moment, n'a plus la cote » - deux frères et une soeur. « Il y a eu des jours difficiles, à avoir faim presque, mais mon père m'a dit quand j'étais tout gamin : toi, tu n'iras jamais à l'usine. Tu seras musicien ou footballeur. »

« Quand je gagnais 100 ou 150 francs par soirée, j'étais heureux. »


Et lui, Jacques ou Pancho Abardonado, vivra d'abord de la musique. « Je préférais ça au foot », reprend le Niçois avec amusement. « J'adorais aller aux répétitions avec mes frères aînés, j'aimais animer des bals ou des mariages. C'était ça ma vie et elle me plaisait. Je devais avoir onze ou douze ans. Quand je gagnais 100 ou 150 francs par soirée, j'étais heureux. C'était beaucoup d'argent pour nous. On jouait du flamenco. C'était la mode des Gipsy Kings. On les imitait sans avoir leur talent. Mais on se débrouillait. » C'était juste avant l'époque où il ne fallait pas fumer devant ses parents, ne pas embrasser une fille devant eux ou amener une copine à la maison. S'il n'est pas né dans une rose, le Niçois d'adoption a été élevé dans le respect de certaines valeurs. « Celle de la famille, pas du clan. Notre porte est ouverte à celui qui veut la franchir, ponctue Abardonado. Chez nous, on est très croyants. Je prie tous les jours, mais sans excès. Sans gri-gri. Je prie juste pour demander de l'aide. »

« J'avais touché une grosse prime. J'ai offert une Lancia diesel à mon père »

Bien sûr, il y aura le foot. A Endoume, un club de quartier de Marseille, vers l'âge de douze ans également. Juste pour le plaisir. « Mes parents n'avaient pas d'argent. Les dirigeants du club se sont attachés à moi. Ils me payaient ma licence, mes chaussettes, mes chaussures et mon short. Quand l'OM, grâce à Jean Castaneda, est venu me chercher, j'ai pleuré et les gens d'Endoume aussi. Tout le monde était triste. Je me suis dit que le meilleur moyen de les remercier était de réussir. J'avais seize ans. » Son père lui demande de choisir : salle de concert ou morceau de pré vert. « Il ne voulait pas que je cours deux lièvres à la fois. J'ai pris le foot. C'est comme ça, semble sourire le défenseur de l'OGC Nice. Il m'a aussi dit qu'à partir du moment où j'étais à l'OM, je n'avais plus droit aux bêtises. » Il passera professionnel, débutera en L 1 par une victoire sur Nancy en novembre 98. « En plus de mon salaire de base, j'avais touché ma première prime. Elle était énorme, c'était l'époque Courbis. Comme je ne savais pas quoi en faire, j'ai acheté une Lancia diesel à mon père, se souvient-il avant d'ajouter avec bonne humeur. C'était sa première voiture, il la lave encore tous les jours. »
Ses parents avaient raté le premier match du fiston, ils rateront son premier but un peu plus loin. « Ils ne viennent jamais au stade de peur de s'engueuler avec leurs voisins de tribune dans le cas où ils me critiqueraient, explique avec saveur Abardonado. Mon but, c'était face au PSG en plus. » Au lendemain de sa réussite parisienne, la famille se recomposera pour aller brûler un cierge à l'église Sainte-Marie d'Arles. On ne se refait pas chez les Abardonado, on communie toujours ensemble.

« Mon père a pris 20 kilos, ma mère 10. Ils n'ont plus de soucis »


Prêté par l'OM, il remportera comme capitaine du Lorient d'Yvon Pouliquen la Coupe de France en 2002 - « Un gitan qui soulève en premier cette coupe, c'est quelque chose » -, après avoir connu une finale de Coupe d'Europe avec le club marseillais. « On avait affronté des mecs comme Inzaghi que j'admirais à la télé. Sur le terrain, j'avais presque envie de lui faire des passes tant j'étais heureux d'être là, de partager la même pelouse. Puis, quand j'ai été transféré de Marseille à Nice, j'ai eu droit à une super prime à la signature », reprend Pancho Abardonado. Après la voiture, c'est une maison qui est offerte aux parents. « Ils m'ont tellement donné. J'en ai profité pour les abonner à Canal Satellite. Comme ça, ils peuvent acheter mes matches et les analyser tranquillement depuis leur canapé. Ils s'occupent de leur jardin, font la sieste. Ils n'ont plus besoin de travailler. Aujourd'hui, mon père a pris 20 kilos, ma mère en a pris 10. Ça veut simplement dire qu'ils n'ont plus de soucis. Et moi, ça me fait plaisir. » Voilà, Jacques Abardonado est un homme heureux, un footballeur comblé. « Je sais d'où je viens. C'est dommage que certains d'entre-nous l'oublient. On gagne beaucoup d'argent, on a de belles voitures en pratiquant un loisir. Quand je suis en train de disputer un match, je ne me rends pas toujours compte de ma chance. Mais quand je prends ma voiture et que je m'arrête à un feu rouge, je vois la vraie vie. L'ouvrier qui creuse un trou ou le gamin qui te demande un euro pour nettoyer ton pare-brise, ça pourrait être moi. » Sensible au sort des autres, il rebondit sur les grèves et manifestations sociales. « Je n'aime pas parler de politique, mais je comprends les jeunes d'aujourd'hui et leur colère. Le lundi, on te dit bonjour et le mardi, on te dit adieu. La vie, ce n'est pas ça. »

« Quand je m'arrête à un feu rouge, je vois la vraie vie »


Ainsi va Jacques ou Pancho Abardonado, footballeur aujourd'hui. « Après ? Les copains de foot, les crampons, la compétition et les moments partagés me manqueront. Alors, j'en profite à fond. J'espère le faire encore pendant encore sept ou huit ans. » On lui dit qu'il retrouvera ensuite le groupe de ses frères aînés, « intermittents du spectacle » comme il aime le souligner. « On en a déjà parlé, mais il paraît que je suis devenu nul en musique », éclate de rire Jacques Abardonado, gitan aux yeux bleus et aux cheveux blonds. Loin des clichés donc, mais épris du vent qui le ramène à ses origines. Jacques s'est effacé derrière Pancho. Définitivement...